5

Chaulmes. France.

 

Le bourg de Chaulmes est enfoui dans la campagne jurassienne. Pourtant la ville de Montbéliard, déjà, le rattrape, l’étouffé et le retire à la solitude à laquelle il paraissait d’abord destiné. Ramassé au fond d’une vallée froide, le village lui-même est un amas de grosses fermes en pierres percées de portails arrondis, assez hauts pour faire entrer les chars à foin. Dans leur hâte à se blottir frileusement les unes contre les autres, ces bâtisses n’ont laissé place qu’à une étroite chapelle et à la mairie, petit bâtiment carré qui a pour vis-à-vis le monument aux morts de 1914. Alentour, jusqu’aux flancs escarpés des montagnes, veille une garde austère de bois noirs.

Ce paysage sauvage et solitaire, du côté où la vallée s’élargit et devrait rencontrer l’horizon, est brusquement arrêté par la ceinture industrielle de la grande ville. Du perron de la mairie on aperçoit déjà au loin le cube gris d’un premier immeuble et autour de lui toute une toile de pylônes, de fils, la structure métallique d’un entrepôt.

À mi-chemin à peu près du bourg et de la banlieue qui monte à sa rencontre, sur un replat déboisé depuis longtemps car on y a capté une source, s’élève une bâtisse étrange. Elle paraît n’appartenir à aucun des deux mondes dont elle marque la frontière. On ne voit pas bien qui peut l’avoir construite : un fermier riche qui faisait un premier pas hors de sa glèbe ou un bourgeois désireux de se rapprocher de la terre ? Tout en hauteur, elle est ornée de colombages et de frises de bois qui reproduisent vaguement le style des maisons de Deauville. Bizarrement, elle ne présente presque aucune ouverture du côté de la vallée, tandis que deux larges baies prolongées par des balcons regardent absurdement vers la falaise. Un escarpement de roche noirâtre y barre la vue à quelques mètres.

Quand Juliette l’avait visitée, c’était ce détail qui lui avait plu. Située aussi loin que possible du bourg et de la ville, tournant méchamment le dos pour bouder, le nez contre la terre humide, cette bâtisse lui correspondait à merveille. Juliette était exilée dans cette campagne sinistre par une décision administrative : le collège de Montbéliard était son premier poste d’enseignante depuis sa sortie de l’université. Elle était arrivée dans le Jura avec l’humeur sombre qui lui était habituelle et que cet exil forcé ne faisait qu’aggraver. La maison de Chaulmes s’accordait avec sa mélancolie.

Elle demanda à en louer le rez-de-chaussée. La mairie s’entremit auprès des propriétaires, un vieux couple de frère et sœur. Ils habitaient une ferme dans le voisinage et désespéraient de jamais trouver preneur pour cet édifice austère que la légende du lieu disait maudit. Ils acceptèrent l’offre de Juliette et lui offrirent le tout, douze pièces, pour le prix qu’elle offrait de deux.

L’espace, dans ces contrées, n’est pas un cadeau. Juliette s’en rendit compte l’hiver venu. Le froid entrait partout. Une couche de gel feutrait le dedans des fenêtres. Elle se réfugia dans le hall, car il n’était percé d’aucune fenêtre. Au milieu était installé un vieux poêle Godin cylindrique près duquel elle se tenait pour corriger ses copies. Une petite pièce attenante, pas trop humide, lui servait de chambre. Le reste de la bâtisse restait abandonné à ses fantômes. Juliette finit par s’habituer aux volets qui claquent, aux pas dans le grenier, se plaisant même à mettre en scène pour elle seule la vie mystérieuse des revenants avec lesquels elle cohabitait.

Mais tout cela, la tristesse, le froid, les fantômes, c’était avant. Depuis une semaine, le printemps était revenu, avec le soleil et assez de chaleur pour pouvoir ouvrir les volets dans toutes les pièces. Depuis une semaine, les bois étaient pleins d’oiseaux et d’écureuils. Des biches approchaient de la maison à la tombée du soir et Juliette prenait des fous rires en essayant sans succès de les toucher. Depuis une semaine, surtout, il y avait en elle le souvenir de Wroclaw.

En marchant dans l’air froid de la nuit polonaise pour rentrer à sa voiture, elle avait redouté que le bien-être qu’elle ressentait fût éphémère. Mais il avait duré. Il s’était même amplifié. Une exaltation voluptueuse l’avait envahie quand elle avait brisé le verre de l’armoire. Elle soufflait toujours en elle et ce mistral intérieur avait chassé toutes les mauvaises humeurs. Elle était gonflée comme une voile, tendue, poussée en avant, sans savoir encore vers quoi. Elle se sentait frémissante, fragile, susceptible à tout instant de craquer, mais cette crainte, loin d’atténuer son plaisir, le décuplait. Depuis son retour, elle n’avait pas dormi plus de deux heures par jour. Elle n’était pas allée travailler. Elle passait son temps à aller et venir dans la grande maison, à ouvrir laborieusement les huisseries gonflées par l’humidité, à déplacer des piles de livres agglutinés par la moisissure. Elle les feuilletait au hasard, picorait une phrase, l’associait à d’autres qui lui revenaient à l’esprit. Elle riait, pleurait avec le même bonheur. Une idée chassait l’autre. Il lui arrivait d’entreprendre deux gestes en même temps et de n’achever ni l’un ni l’autre.

Dans un des greniers, elle avait retrouvé une malle de vieux vêtements de femme. Elle avait passé toute une après-midi à les déballer. Elle les étalait sur elle, en se regardant dans un vieux miroir. Il était posé par terre, un peu incliné contre le mur et la faisait paraître plus grande que son mètre soixante-cinq. Elle avait coiffé ses longs cheveux noirs de différentes manières : chignon, nattes, queue de cheval, raie, frange. Elle avait d’ordinaire horreur des miroirs. Mais, cette fois, il lui semblait y découvrir l’image d’une inconnue.

Derrière cette agitation et ces futilités, plus constant, plus profond, s’opérait un travail qui la mûrissait. Quand, au bout d’une semaine, sa solitude fut rompue par le bruit d’une moto qui montait la côte jusqu’à sa maison, elle sentit qu’elle était prête.

La moto se gara sur le côté du perron. Par la fenêtre, elle aperçut Jonathan qui enlevait ses gants et son casque. Elle lui laissa le temps d’entrer et de venir jusqu’à elle. Il connaissait le chemin. Elle avait beau s’être préparée à cette visite et l’attendre, elle sentit son corps frissonner : il fallait toujours le rassurer celui-là, contrôler les peurs qui venaient de lui. Une impression de froid la gagnait, la moiteur lui venait aux mains. Dès que son esprit aurait repris le dessus, elle savait que tout irait bien. Son corps était faible, mais il obéissait. À un certain degré de stress et de risque, il devenait même une parfaite machine, souple et docile. Elle l’avait encore constaté à Wroclaw.

Elle s’efforça de descendre calmement l’escalier. Au moment où elle posait le pied sur le carrelage en faïence du hall, Jonathan s’encadra dans la porte de la cuisine.

— Salut ! lança-t-il en souriant.

Il la suivit dans la pièce qui servait de salon, celle qui ouvrait sur les rochers humides. Il jeta son casque sur un fauteuil recouvert comme les autres d’une housse blanche. Ses cheveux étaient encore tout plaqués sur son crâne. Il défit sa veste en cuir et dénoua son écharpe palestinienne.

Les fantômes qui hantaient la maison de Juliette la nuit avaient souvent ce visage-là : un menton large, toujours couvert d’une ombre de barbe blonde tirant sur le roux ; des yeux aux paupières un peu tombantes qui donnaient à son regard un air blasé, troublant, presque hypnotique ; un nez busqué où se marquait, comme au flanc d’une bête trop maigre, la limite du cartilage et de l’os. Le mélange de tout cela, c’était Jonathan. Mais, comme tous les fantômes, il résistait mal à la lumière du jour, et surtout à la nouvelle lucidité de Juliette. Elle lui trouva l’air d’un dandy fatigué dont l’aisance cachait mal la faiblesse.

— J’ai apporté ce qu’il faut pour fêter ton exploit, annonça-t-il en lui lançant un clin d’œil.

Il posa son sac sur une pile de livres et en tira deux petites bouteilles de Corona, dans lesquelles flottaient des rondelles de citron. Il sortit un couteau suisse de sa poche, les décapsula et en tendit une à Juliette.

— Cheers, fit-il en levant sa bouteille. À ta mission parfaitement réussie !

Il but une grande lampée de bière et montra les dents pour en souligner l’amertume.

— J’ai regardé la presse polonaise sur Internet. Même sans comprendre leur foutue langue, on voit qu’ils ont mordu. Ça a fait de gros titres : libération animale, laboratoire saccagé, etc. Pas la une, bien sûr, mais les articles étaient quand même bien placés. Avec des photos de singes dans des cages, qu’ils ont été chercher je ne sais pas où.

Juliette s’était assise sur le rebord d’une des fenêtres. Jonathan s’approcha d’elle. Comme elle ne lui faisait pas de place à ses côtés, il recula jusqu’à une table en acajou contre laquelle il s’appuya.

— Pas mal, mes renseignements, hein ? dit-il. Je t’avais mitonné ça aux petits oignons.

Comme à son habitude, Jonathan se remettait vite à parler de lui. Juliette avait beau s’être préparée à cette visite, elle se sentait désemparée devant ce brusque retour de la réalité. Dans sa tête, les mots en engendraient d’autres, selon des associations d’idées saugrenues. Les petits oignons lui firent penser au pot-au-feu, au jardin et aux rosiers qu’elle voulait planter, les rosiers à son parfum. Elle dut se retenir pour ne pas traverser la pièce et aller jusqu’à la salle de bain s’asperger de Chanel N° 19. Elle était consciente du caractère inadapté de ces pensées et restait là, la gorge nouée, ne sachant pas quoi dire. Heureusement, Jonathan, avec sa voix traînante, avait de la ressource pour deux. Il se mit à vanter le professionnalisme de l’opération, fit de l’autosatisfaction sur les choix qu’il avait faits lui-même : l’emploi d’une voiture, le fait que Juliette y soit allée seule, le créneau horaire.

— Tu sais, lui confia-t-il après un silence réfléchi, j’aurais bien aimé être avec toi.

Il s’était penché en avant et ce ton doux, cette intonation nasillarde la firent tressaillir. Elle eut l’impression qu’il voulait lui toucher la main. Instinctivement, elle se raidit et recula assez pour que le geste de Jonathan s’achève dans le vide.

Il sourit un peu de travers, comme un homme blasé dont rien ne peut entamer l’affection.

— Tu as dû prendre ton pied, tout de même. Raconte-moi. Quel effet ça fait de rendre ces bêtes à la liberté ?

Il n’était pas sincère. Elle en était certaine. Tant qu’elle était enfermée dans son humeur dépressive, il avait pu faire illusion sur elle. Maintenant, c’était impossible. Elle y voyait aussi clair que sous un soleil d’hiver, quand l’air glacial laisse passer le moindre détail avec une netteté impitoyable.

— Tout est allé très vite, dit-elle, sans reconnaître sa propre voix, trop rapide, trop forte. Je n’ai pas eu le temps de me rendre compte. Tu veux manger quelque chose ?

C’était incohérent. Elle le sentait, préféra s’arrêter. Pour ne pas se sentir coincée sur cette fenêtre, elle sauta soudainement à terre. Jonathan eut un mouvement en arrière et une mimique fugace de surprise et de crainte.

« C’est un lâche », pensa-t-elle.

Quelques rayons de soleil parvenaient à filtrer obliquement à travers les sapins. La forêt si noire d’ordinaire prenait des teintes appétissantes de caramel filé et de marrons.

— Oui, raisonna-t-il en regardant sa bière, je comprends ton émotion.

Un court instant, Juliette se demanda si elle n’allait pas céder à la tentation, lui raconter la jouissance du coup de masse dans la vitrine, le retour inattendu et durable cette fois de la plénitude, comme lorsqu’ils s’étaient connus, lors de son exclusion du mouvement. Elle avait une terrible envie de détailler cet émoi, cette métamorphose. Il était le seul à qui elle pouvait en parler. En même temps, tandis qu’elle le regardait de dos, penché en avant, le sommet du crâne un peu dégarni malgré ses trente ans, elle se dit qu’il était aussi maintenant le dernier à qui elle avait envie de le raconter.

— Je comprends, dit-il.

« C’est ça, pensa-t-elle, tu comprends… Comme d’habitude. » L’envie était passée et avec elle le trouble. Elle attendait la suite avec sérénité. Il se retourna, l’œil fixe et inquiet.

— La combinaison noire ?

— Je l’ai brûlée.

— Avec le masque et les bottes ?

— Oui.

— Pour mettre le feu, tu as trouvé le terrain vague, avant la frontière ?

— Sans problème.

Elle aimait les interrogatoires. Si elle était habile à quelque chose, c’était à se prêter aux jeux de l’autorité. Toute son enfance n’avait été que soumission docile. Dans la serre de l’humiliation, nul n’était plus habile qu’elle à faire pousser, fleurir, fructifier la plante salvatrice du rêve.

— Où as-tu dormi la deuxième nuit ?

— Au motel, près de Leipzig.

— Payé cash ?

— Oui.

— La frontière ?

— Aucun problème. Les flics m’ont un peu draguée.

— Pas au point de se souvenir de toi ?

— Ils étaient saouls.

— Quand tu as rendu la voiture, le vendeur t’a interrogée sur le nombre de kilomètres ? Deux mille en trois jours, ça fait un peu plus de six cents par jour. Il ne t’a rien dit ?

— Rien. Il s’en foutait. C’était un étudiant turc qui faisait ça le soir pour gagner du fric.

Jonathan posa encore quelques questions pratiques puis se remit à sourire en s’étendant en arrière.

— Magnifique ! conclut-il. Une pleine réussite.

Il posa sa bière sur la table de la cuisine et regarda sa montre.

— Faut que j’aille au Chipie’s. C’est moi qui fais l’ouverture aujourd’hui.

Il travaillait dans un bar de nuit, à Lyon, quartier Saint-Paul. Il se présentait volontiers comme guitariste, mais, en pratique, le patron lui faisait faire un peu tout. La plus grande partie de la soirée, il servait à boire.

Juliette attendait la suite. Le fait qu’elle n’ait pas bougé lui cassa un peu sa sortie. Il avait l’air moins naturel en faisant mine de se raviser.

— Au fait, dit-il.

« C’est tout à fait ça, pensa-t-elle, venons-en enfin au fait. »

— N’oublie pas de me passer le flacon rouge.

Comme elle ne remuait toujours pas, il rougit :

— Tu l’as bien pris, n’est-ce pas ?

— Oui, je l’ai pris.

Juliette avait envie de crier, d’éclater de rire, de danser. Elle se cala sur sa chaise, replia une jambe sous ses fesses en agrippant son pied. Elle se tenait ainsi comme on entrave un cheval, pour éviter de voir son esprit et son corps s’enfuir en bondissant. « Vas-y, c’est maintenant. »

— J’ai bien réfléchi, Jonathan.

Il avait fait tomber ses clefs. Elle attendit qu’il les ait ramassées. Ne pas frapper dans le dos.

— Je reste dans le coup, dit-elle.

Il se figea. Son sourire disparut et il laissa paraître dans son regard un éclat dur. Il la dominait de toute sa hauteur.

« C’est drôle, pensa-t-elle, toujours incroyablement lucide comme si elle était une mouette qui surplombe la scène et la regarde de haut, il me fait peur, mais je ne le crains pas. »

Quand ils étaient étudiants, Jonathan l’avait influencée, mais l’avait-elle jamais pris au sérieux ? Elle se rendait compte que non. Ils étaient un moment sortis ensemble. Dans un lit, on apprend à ne plus craindre. Il y avait des faiblesses en lui qu’elle n’oubliait pas.

— Juliette, donne-moi ce flacon, s’il te plaît. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. De toute façon, il ne peut te servir à rien.

— Tu dois le faire passer à quelqu’un, hein ?

— Ça ne te regarde pas. C’est mon affaire.

— Laisse-moi y aller à ta place.

— Aller où ? répéta-t-il en haussant les épaules. Tu es folle !

Au prix d’un effort visible, il se domina pour ne pas éclater. Il attrapa une chaise et s’assit devant elle. Il se força même à sourire.

— Juliette, ce que tu as fait a été bien fait. Mes commanditaires seront très contents. Ils te confieront sûrement autre chose, puisque tu veux rester dans le coup. Mais cette affaire-là est très sérieuse. Ton rôle là-dedans est terminé. Le mien le sera aussi dès que je leur aurai fait passer ce flacon.

« Mes commanditaires. » Pauvre Jonathan ! Elle eut pitié de lui tout à coup. L’onction avec laquelle il avait dit cela… Même pour faire des choses interdites, il avait besoin de respecter un ordre établi, une hiérarchie. Il avait transgressé, mais une fois la limite franchie, il s’était arrêté net. Il n’irait jamais plus loin. Elle, si.

— Je vais toujours jusqu’au bout de ce que j’entreprends.

— Jusqu’au bout ! Jusqu’à quel bout ? Tu ne sais même pas de quoi il s’agit. Moi non plus, d’ailleurs, et nous n’avons pas besoin de le savoir. Nous sommes des intermédiaires, des soldats, tu comprends ?

L’œil noir de Juliette posé sur Jonathan dissolvait ses paroles à mesure qu’il les prononçait.

— Arrange-toi comme tu veux avec tes « commanditaires », conclut-elle avec un calme, une sérénité qui la surprit elle-même. Dis-leur qu’il y a eu une mutinerie. C’est moi qui apporterai le flacon. Je veux les rencontrer.

— Sois raisonnable, plaida Jonathan en utilisant un autre registre, plus terre à terre. Tout cela t’entraînerait loin et pour longtemps. Tu ne vas pas abandonner ton poste, ta maison, ta vie ?

— J’ai demandé mon congé pour l’année scolaire qui vient. Mon bail ici s’arrête en juin. Et le collège ferme la semaine prochaine pour les vacances de Pâques.

Il comprit qu’elle avait tout préparé et sans doute depuis longtemps. Surtout, il prit conscience qu’elle était libre, sans famille, sans attache. Ce qui lui avait paru un atout au moment de lui confier cette mission était en fait un risque. La vie avait blindé cette fille contre la douleur et contre toutes les peurs, sauf peut-être celles qui venaient d’elle. Elle était complètement incontrôlable. En fait, il ne la connaissait pas.

— Quand est-ce que ça t’a pris, cette idée ? demanda-t-il.

— Depuis que tu m’as proposé d’aller là-bas. J’ai tout de suite compris que l’affaire des singes et des souris ne serait que le premier acte. Il se prépare quelque chose d’autre derrière. Quelque chose de plus important.

Il aurait pourtant dû se méfier d’elle. Son côté lymphatique, timide, mélancolique donnait bien le change. Elle pouvait facilement laisser croire qu’elle acceptait d’être manipulée. Mais, finalement, c’était elle qui menait la danse.

Un instant, il fut tenté par la violence. La frapper ? On ne cogne volontiers que ce que l’on craint. Question satisfaction, pas de doute, il aurait aimé. Mais le résultat ? Il la regarda, pelotonnée sur sa chaise, indestructiblement fragile. Cette fille avait traversé des déserts de mélancolie et d’abandon, sans doute. Mais maintenant, elle avait cette lueur ironique dans les yeux. Elle semblait bouillonner intérieurement. Par moments, elle riait sans cause. Elle était méconnaissable. Ou plutôt, Jonathan reconnaissait une période ancienne, celle où ils s’étaient connus. Et qui s’était plutôt mal terminée.

Il se leva et saisit son casque.

— C’est ton dernier mot ?

La question était stupide, mais elle préparait une sortie honorable. Juliette jeta comme une aumône un « oui » charitable.

Jonathan ferma sa veste d’un geste énergique et traversa la pièce. Puis, en tentant de reconstruire un sourire blasé, il déclara :

— Tout ça était prévu aussi, crois-moi. Le cas a été envisagé. Il y a des réponses prêtes, tu vas vite t’en rendre compte.

Mais cette remarque, propre à rassurer sur la clairvoyance des fameux « commanditaires », s’adressait surtout à lui-même.

Il fit avec deux doigts un petit signe d’au revoir et quitta la pièce d’un pas chaloupé.

Juliette attendit que la moto se soit éloignée pour fermer la fenêtre. Une belle nuit s’annonçait, venteuse et sombre, sans lune, sans fantômes.

Le Parfum D'Adam
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